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Blog Littéraire : Que Lire ?

Que Lire ? Le blog littéraire d’une rédactrice web de 40 piges qui allie sa passion de l’écriture à celle de la lecture. Des livres et des chroniques littéraires ? Oui, mais pas que ! Vous découvrirez des tests conso, de la culture, de l'art et tout les thèmes lifestyle qui me parlent ; bio, végé, éco et bien-être...

L'objet de toutes les convoitises

© Claude Huré

© Claude Huré

Je me souviens de ma jeunesse. C’était il y a longtemps, quarante, cinquante ans peut-être. Je me souviens des passants, et de leurs visages émerveillés quand ils m’ont aperçu pour la première fois. À cette époque, j’étais de loin celui qui attirait le plus l’attention. L’attrait du neuf peut-être ? J’étais tant convoité par les femmes du quartier, que certaines s’éveillaient plus tôt le matin pour s’assurer ma compagnie. Elles et moi, nous étions proches et, entre elles et moi, ce ne fut pas rapide, ce fut... immédiat. Je ne disais rien, heureux de susciter tant d’intérêt, heureux de rendre heureux.

Pourtant avant mon installation, il y eut des méchancetés qui circulaient à mon sujet. Les vieux pensaient que j’allais attirer les voyous, les jeunes m’appelaient « l’aimant à viocs ». Je ne les comprenais pas, moi, mon rêve c’était de fédérer toute une population, apporter un peu de vie et de la joie, beaucoup de joie même.

J’aimais que les enfants passent du temps près de moi. Les entendre rire et les voir jouer pendant que leurs mères discutaient entre elles, ça, ça me comblait de bonheur. Je remplissais bien mon rôle d’animateur de quartier, mon employeur ne m’a jamais fait le moindre reproche. Je sais que les habitants trouvaient que m’avoir parmi eux, avait occasionné une dépense supplémentaire dans les caisses du trésor public, un coût excessif selon eux, dont le village n’avait pas besoin. Pourtant, j’aimais tellement ce parc, que j’y passais tout mon temps, ne comptant jamais mes heures. Oh oui, on peut dire que je mettais du cœur à l’ouvrage.

Dix ans après mon arrivée, un petit nouveau a été embauché. Je ne l’aimais pas celui-là, un vrai frimeur. Un coach sportif paraît-il. À la Mairie, ils ont dit qu’il allait dynamiser l’ambiance au Parc. Cet intrigant a tout de suite attiré les plus belles filles. Je voyais toujours du monde, mais, je dois bien l’avouer, j’adorais la compagnie des jeunes femmes. Elles maintenant, me délaissaient pour l’autre. Les ingrates, ah ça quand elles étaient grosses et enceintes, elles m’appréciaient et venaient quotidiennement passer du temps avec moi. Même une fois leurs marmots nés, elles n’auraient manqué sous aucun prétexte leur visite quotidienne. Mais quand les enfants ont commencé l’école, un truc a changé, elles avaient besoin d’autre chose. Oh, je ne m’en fais pas, je sais qu’elles reviendront, quand l’effort ne compensera plus les effets du temps. Et je serais heureux de les savoir blotties à nouveau tout contre moi, de ressentir à nouveau la chaleur de leurs cuisses, la forme de leurs fesses bien rebondies et pour les moins timides le poids de leur corps tout entier.

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Ça y est, je me souviens de la date exacte ! C'était le 2 avril 1964. Oui, c’est ce jour-là que Guy et François, les ouvriers municipaux, sont venus me montrer mon lieu de travail. Deux gars vraiment sympas, qui ont pris le temps de choisir au mieux l’emplacement où je passerai toutes mes journées. Ils m’ont installé sous le marronier, ainsi l’arbre me protégerait du soleil et des douces pluies d’été.

Il y a longtemps que je n’ai plus vu Guy et François, je pense qu’ils doivent être à la retraite. Je n’aime pas leurs remplaçants, ils font comme si je n’existais pas. Une fois leur conversation terminée, ils me regardent l’air mauvais, avant de se diriger vers leur camionnette de laquelle ils sortent une pioche et un marteau piqueur. Je comprends immédiatement que c’est pour moi, alors, j’ai peur.

— Arrêtez ! Arrêtez ! hurlais-je. Pitié, non...

Ils n’en ont que faire de mes hurlements, leurs coups redoublent et moi, je m’effondre sous la douleur.

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Aujourd’hui, ce fut mon dernier jour de travail. Le frimeur aussi, ils l’ont tabassé. Les deux barbares font place nette pour que les bucherons puissent abattre les arbres avant l’arrivée des bulldozers. Même le parc n’existera plus... toutes ces années de travail pour rien, ça me rend triste et furieux à la fois.

— Non... pas ça ! Non... m’époumonais-je, quand ils mirent le feu à mes planches.

J’ai mal, terriblement mal, mais le plus triste dans tout ça, c’est qu’aujourd’hui, personne ne me tient compagnie.

"L'objet de toutes les convoitise" : Audrey C.

694 mots

40 minutes

Atelier d'écriture sur http://www.bricabook.fr/2016/03/lhomme-platane-atelier-decriture/

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L
Ah oui, tu m'as bien eue ! Je n'ai pas compris avant la fin, je voyais que quelque chose clochait, mais quoi ? :D
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V
C'est un truc pour voir si les gens lisent jusqu'au bout :)
C
D'abord, j'ai pensé au vieux Monsieur et à sa vie. Ensuite, je me suis dit : "Quelque chose ne va pas, ça ne colle pas". Eh puis le feu, les planches, et dans ma tête enfin l'étincelle, le déclic, c'est le banc.Ce mobilier urbain, comme tu le dis si bien, que nous avons tous un jour, à un endroit ou à un autre, tant convoité. La raison de la convoitise n'étant, bien entendu pas la même pour tout le monde. Moi aussi tu m'as bien eue. Félicitation.
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V
Merci Maman :)
B
Bien sûr que tout le monde a regardé le vieux monsieur et lui a inventé plein de vies, mais quel scandale d'avoir oublié le banc sans lequel la photo n'aurait eu aucun sens!!!!!.....C'était sympa à lire bien que douloureux et injuste....A bientôt chez Leiloona?.....
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V
Eh oui, n'oublions pas le mobilier urbain ! ;) Et à bientôt chez Leiloona, j'attend la prochaine photo avec impatience !
S
Excellent, je me suis creusée la tête pour découvrir "l'objet". Je suis triste pour lui le pauvre mais le texte est plein d'humour et m'a bien eue. Félicitation.
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V
Merci Sandrine, c'est gentil.
C
C'est une excellente idée. Et bien écrite. Bravo. On suit ton texte avec un intérêt constant jusqu'au final. Il y beaucoup de sentiment et d'émotion. Merci.
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V
Et toi Claude, bravo pour la photo et bravo pour ton texte, j'ai adoré la ....chute ! :)
L
J'ai cru un bon moment que c'était l'arbre qui parlait... La chute m'a bien eue!
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V
Merci Louise, je vois que tu est une habituée de cet atelier d'écriture ! Merci de ton passage ici.
C
Ce n'est que vers la fin du texte que j'ai compris qui était le protagoniste. C'est rudement bien tourné !
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V
Merci ! J'ai adoré ton texte avec ce vieux beau qui drague tout ce qui bouge ! Excellent !
S
Chouette ce point de vue du banc!
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V
Merci Sabine. Je viens d'aller faire un tour sur ton blog. Il est très sympa. je vois que tu écris dans l'atelier d'écriture de Leiloona régulièrement. Je vais essayer d'en faire de même. A bientôt j'espère !
N
Quelle belle idée d'orienter ton texte sur le banc ! Je ne l'ai pas réalisé tout de suite, tu as su nous amener sur un autre terrain avec talents et quand j'ai compris que tu parlais du banc, j'ai bien ri ! Bravo !
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V
Merci Nady, je suis contente que cette idée te plaise. On verra ce que la prochaine photo nous réserve !
R
Ah, j'adore!!! Toujours aussi étonnante!! Ce que j'aime le plus dans tes nouvelles, c'est qu'on ne s'attend jamais à la fin... Petite maligne, tu nous emmènes où tu veux... ;) Et bien moi, j'aime ça!! Allez madame, allez... On continue...!!! Mettez du cœur à l'ouvrage, nous en voulons encore et encore et encore... Tu es absolument GENIALE!!
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V
Rebecca, ma plus grande fan ! :) (Merci, merci, merci, merci, merci, merci.....)
C
Très beau, j'en ai des frissons ! :)
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V
Merci Caro, c'est gentil. :)
M
Oui en effet les vieux bancs ont beaucoup de choses à raconter...ils en ont vu de toutes les couleurs..Merci pour cette lecture bien sympathique.
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V
Eh oui, ma mode actuelle est à les enlever pour éviter les rassemblements, j'ai voulu leur donner une âme.
M
Faire parler les objets, j'aime bien ça moi. C'est vrai que certains, comme ce banc, ont ou auraient beaucoup de choses à raconter. Merci Audrey pour cette parenthèse bien sympathique.
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V
Merci Mimi ! Je viens de voir l'ENOOOORME faute dans le titre, j'ai corrigé ça !